L’Architecture, fontaine de jouvence

Vers une architecture pour sénior

Paris

« Le bonheur la vieillesse ». À en croire les dires de Kafka, nous serions de moins en moins heureux tant le paysage démographique mondial est fortement marqué par un phénomène quelque peu imparable : le vieillissement de la population. À titre d’exemple, en France (selon les prévisions de l’INSEE) 1, le nombre de personnes de plus de 85 ans devrait passer de 1,4 millions actuellement à
5 millions d’ici 2060. Par ailleurs, la décennie en cours est déjà témoin d’une augmentation significative de la population âgée de 75 à 84 ans, avec une croissance prévue de 49%, selon le rapport interministériel de Luc Broussy 2. Cet essor rapide impose la nécessité de repenser nos villes, nos modes de vie et d’habiter. Cela exige in fine une refonte tant quantitative que qualitative des structures d’accueil mais aussi des logements de manière plus générale. Combinant soins, intimité et respect de la dignité humaine, ces architectures se doivent désormais de prioriser la notion de « bientraitance3 », d’anticiper et d’accompagner les habitants dans cette étape de la vie que symbolise la vieillesse. Toutefois, il est crucial de reconnaître que la vision de la vieillesse elle-même a évolué. Aujourd’hui, il ne s’agit plus simplement de la fin de la vie, mais plutôt d’une période de renouveau, d’un « printemps florissant avant l’hiver du grand âge », comme l’exprime l’initiative du Printemps de l’Hiver4.

C’est à l’architecture et plus concrètement à l’architecte, que revient l’apostolat de la planification et la création de lieux de vie adaptés à cette nouvelle réalité. En tant que praticiens, nous sommes aujourd’hui confrontés à la problématique de l’habitat pour séniors et nous en venons à nous demander : Comment concevoir des environnements urbains adaptés à cette nouvelle « saison » ? Comment l’architecture peut-elle accompagner l’Homme tout au long de cette période de transformation et de transition ?  Ce premier billet s’attelle à explorer ces problématiques en analysant le rôle que peut jouer l’architecture dans l’adaptation de nos villes et de nos espaces de vie pour répondre aux besoins et aux défis imposés par le vieillissement de la population. Pour ce faire, nous plongerons d’abord dans les principes de cette architecture pour sénior avant d’examiner l’arsenal d’outils à la disposition des architectes pour faciliter l’appréhension progressive du vieillissement. Cette démarche de recherche vise à enrichir l’une de nos initiatives en cours, axée sur la création de deux colocations spécifiquement conçues pour les personnes âgées. Nous cherchons à approfondir nos connaissances et à intégrer des éléments novateurs pour garantir des environnements résidentiels adaptés et accueillants. Cette étude s’engage à explorer les besoins spécifiques des séniors en termes d’espace de vie partagé, de sécurité, de convivialité et de praticité au quotidien.

L’architecture
prothétique :
quésaquo ?

« Si, comme le soutient l’architecte Michael Murphy 5, l’architecture peut être faite pour guérir, peut-être peut-elle aider à mieux vieillir ou ne pas vieillir… Teintée d’uchronie, cette théorie fut principalement mise en avant par Arakawa et Gins à travers leur vision autour de l’architecture comme « l’art de tromper la mort 6 ». À leurs yeux, la conception des bâtiments offrait la possibilité d’accroître à la fois la stimulation mentale et physique, ouvrant ainsi la voie à une potentialité infinie de prolongement de la vie. En évitant les angles droits, en rejetant la symétrie et en favorisant une variation constante dans les hauteurs des édifices, ils envisageaient de stimuler le système immunitaire, d’aiguiser l’esprit et d’aspirer à une immortalité potentielle : Pour Arakawa et Gins, le confort est précurseur de la mort d’où cet agencement volontairement inconfortable qui est supposé selon eux, stimuler le système immunitaire et maintenir le corps en parfaite harmonie. […] Les architectes tentent ainsi de préserver les sens à travers ce type d’habitation, proposant un environnement hors norme qui stimule ces derniers, tonifie le corps et bannie la vieillesse : leur philosophie étant « bouger chez soi pour ne jamais mourir 7. Cette approche est en résonance avec celle que développera plus tard Dominique Coulon dans son projet de résidence pour séniors dans le Haut-Rhin. De fait, il utilise l’escalier comme un véritable acteur spatial du projet : « l’escalier est plus qu’un passage. Avec ses marches profondes, son banc encastré, il est un lieu où l’on s’arrête, discute, il sert de terrain d’exercice pour le kinésithérapeute.  Dans un environnement qui n’est pas médicalisé, l’architecte a la responsabilité d’adoucir, à travers la conception de l’espace seul, les défis et vulnérabilités associés au vieillissement. C’est ainsi qu’on évoque le concept d’architecture prothétique. Le concept d’architecture prothétique met en avant l’idée que l’espace environnant peut servir de support physique et psychologique pour les individus, leur offrant ainsi une autonomie maximale. Il vise à créer un environnement où le corps et l’esprit des usagers trouvent un soutien adapté, favorisant leur indépendance dans leurs activités quotidiennes. Il s’agit de concevoir des espaces qui agissent comme des extensions fonctionnelles et réconfortantes, facilitant la liberté de mouvement et l’épanouissement personnel pour chaque individu. Pour Sandrine Souchon, architectes et médecins sont «  complémentaires dans l’art du soin 8 » : « le médecin doit favoriser l’espérance de vie sans augmenter le handicap. L’architecte doit s’adapter au vieillissement, à cette fragilité du corps et de l’esprit, et ainsi permettre de pallier, au moins en partie, à ces handicaps en innovant en faisant émerger l’habitat par des matériaux et des concepts novateurs 9 ». L’architecte, par le biais de cette approche, œuvre à transformer l’espace physique en un support adapté, mitigeant ainsi les limitations physiques du corps vieillissant et permettant aux individus de vivre de manière indépendante et fonctionnelle dans leur environnement quotidien. Un double enjeu réside dans cette recherche du bien-être mesuré, où le corps n’est ni trop confortable (au risque de le rendre plus dépendant encore et de créer de véritables mouroirs) ni complètement incommode ; l’espace doit être sensoriellement accessible à l’ensemble des usagers. De plus, les frontières entre espaces privés et publics voire mutualisés doivent être traitées avec beaucoup d’attention afin d’assurer toute la sécurité et dignité nécessaires tout en offrant une autonomie à ceux qui en font l’expérience. Dans de telles conformations, l’homme doit « pouvoir retrouver son intégrité d’homme abandonnant ainsi sa chrysalide de personne âgée 10 ».

Van Gogh Vincent, Veil homme triste « À la porte 
de l’éternité », 1890.
Dominique Coulon et as., Logements pour Séniors, Huningue, 2018.

Vers une architecture
pour sénior

« Si, comme le soutient l’architecte Michael Murphy ⁵, l’architecture peut être faite pour guérir, peut-être peut-elle aider à mieux vieillir ou ne pas vieillir… Teintée d’uchronie, cette théorie fut principalement mise en avant par Arakawa et Gins à travers leur vision autour de l’architecture comme « l’art de tromper la mort ⁶ ». À leurs yeux, la conception des bâtiments offrait la possibilité d’accroître à la fois la stimulation mentale et physique, ouvrant ainsi la voie à une potentialité infinie de prolongement de la vie. En évitant les angles droits, en rejetant la symétrie et en favorisant une variation constante dans les hauteurs des édifices, ils envisageaient de stimuler le système immunitaire, d’aiguiser l’esprit et d’aspirer à une immortalité potentielle : Pour Arakawa et Gins, le confort est précurseur de la mort d’où cet agencement volontairement inconfortable qui est supposé selon eux, stimuler le système immunitaire et maintenir le corps en parfaite harmonie. […] Les architectes tentent ainsi de préserver les sens à travers ce type d’habitation, proposant un environnement hors norme qui stimule ces derniers, tonifie le corps et bannie la vieillesse : leur philosophie étant « bouger chez soi pour ne jamais mourir ⁷.    Cette approche est en résonance avec celle que développera plus tard Dominique Coulon dans son projet de résidence pour séniors dans le Haut-Rhin. De fait, il utilise l’escalier comme un véritable acteur spatial du projet : « l’escalier est plus qu’un passage. Avec ses marches profondes, son banc encastré, il est un lieu où l’on s’arrête, discute, il sert de terrain d’exercice pour le kinésithérapeute.  Dans un environnement qui n’est pas médicalisé, l’architecte a la responsabilité d’adoucir, à travers la conception de l’espace seul, les défis et vulnérabilités associés au vieillissement. C’est ainsi qu’on évoque le concept d’architecture prothétique. Le concept d’architecture prothétique met en avant l’idée que l’espace environnant peut servir de support physique et psychologique pour les individus, leur offrant ainsi une autonomie maximale. Il vise à créer un environnement où le corps et l’esprit des usagers trouvent un soutien adapté, favorisant leur indépendance dans leurs activités quotidiennes. Il s’agit de concevoir des espaces qui agissent comme des extensions fonctionnelles et réconfortantes, facilitant la liberté de mouvement et l’épanouissement personnel pour chaque individu. Pour Sandrine Souchon, architectes et médecins sont «  complémentaires dans l’art du soin ⁸ » : « le médecin doit favoriser l’espérance de vie sans augmenter le handicap. L’architecte doit s’adapter au vieillissement, à cette fragilité du corps et de l’esprit, et ainsi permettre de pallier, au moins en partie, à ces handicaps en innovant en faisant émerger l’habitat par des matériaux et des concepts novateurs ⁹ ». L’architecte, par le biais de cette approche, œuvre à transformer l’espace physique en un support adapté, mitigeant ainsi les limitations physiques du corps vieillissant et permettant aux individus de vivre de manière indépendante et fonctionnelle dans leur environnement quotidien. Un double enjeu réside dans cette recherche du bien-être mesuré, où le corps n’est ni trop confortable (au risque de le rendre plus dépendant encore et de créer de véritables mouroirs) ni complètement incommode ; l’espace doit être sensoriellement accessible à l’ensemble des usagers. De plus, les frontières entre espaces privés et publics voire mutualisés doivent être traitées avec beaucoup d’attention afin d’assurer toute la sécurité et dignité nécessaires tout en offrant une autonomie à ceux qui en font l’expérience. Dans de telles conformations, l’homme doit « pouvoir retrouver son intégrité d’homme abandonnant ainsi sa chrysalide de personne âgée ¹⁰ ».
  • 1

    Blanpain, Nathalie, Olivier Chardon. Projections de population à l’horizon 2060. INSEE.

  • 2

    Broussy, Luc.  Nous vieillirons ensemble. Rapport interministériel sur l’adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires à la transition démographique (Mai 2021). 

  • 3

    Souchon, Sandrine, Florence Nogues, Hablati Jibidar, Evelyne Fondop, et Anne- Marie Lezy- Mathieu.  L’architecture peut-elle être source de maltraitance ? Un regard de gériatres . Gérontologie et société 29 / 119, no 4 (2006). p. 84.

  • 4

    Cette initiative d’architectes et d’urbanistes portée par la Maison de l’architecture Ile-de-France, sous la houlette de Dominique Boré, présidente de l’association depuis 2017, et sur proposition de Guillaume Sicard, architecte, convaincu de l’urgence à explorer,  face au vieillissement de notre société, les possibles de la ville.

  • 5

    Murphy, Michael. « Architecture that’s built to heal ». Ted Talks, 2016.

  • 6

    Doezema, Marie. « Could Architecture Help You Live Forever? ». The New York Times Style Magazine, 2019. 

  • 7

    Chapon, Pierre-Marie, Odile Werner, et Ivan Olivry. «Architecture et grand âge ». Retraite et société. 60, no 1, 2011. p.249.

  • 8

    Souchon, Sandrine, Florence Nogues, Hablati Jibidar, Evelyne Fondop, et Anne-Marie Lezy-Mathieu. « L’architecture peut-elle être source de maltraitance ? Un regard de gériatres ». op.cit. p.77. 

  • 9

    Ibid. 

  • 10

    Ibid. p.78.

  • 11

    Le Corbusier. Vers une architecture…  Paris : Flammarion. (1923).

  • 12

    Trepat, Marc. « Architecture et vieillissement ». Connections by Finsa.

  • 13

    Bialestowski, Alice. « Penser la dignité des personnes âgées - Dominique Coulon associés ». AMC. (Mai 2020).

  • 14

    Clerc, Thérèse citée par Borne Emmanuelle «Young Old». L’Architecture d’Aujourd’hui. n°434. (Novembre 2023). p.5.

Foubert

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Poniatowski

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